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> > >   Les 11 écrivains de Clichy Mot à Mot :
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> > >   Les 12 mots de Clichy Mot à Mot :
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> > >   Le 13 mai, le maire Claude Dilain et l'ensemble du conseil municipal
de Clichy-sous-Bois recevaient les écrivains de Clichy Mot à Mot
et les photographes de Clichy sans Cliché venus leur passer le relais :

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 > > >   Sylvain Tesson : Pourquoi j'ai écrit cette nouvelle
 
tesson2Un balcon en forêt

J'ai voulu écrire un texte sur le bois de Clichy parce que je trouve qu'à l'heure où la Nature rétrécit, où les forêts reculent et où les bêtes ne subsistent plus que dans les lambeaux qu'on leur épargne, c'est une grande chance pour des citadins de vivre à l'orée des arbres.
Les habitants de Clichy ont ce bonheur là.
En quelque sorte, ils possèdent tous "un balcon en forêt" pour parler comme un géographe que j'admire.
Je voulais montrer dans ma nouvelle combien une forêt, aussi petite soit-elle, recèle de signes, de mystères, de messages et de secrets à déchiffrer (et non pas à défricher) et combien la proximité des feuillages est nécessaire au bien-être de l'homme.
La figure du vagabond, je ne l'ai pas inventée.
J'ai réellement connu deux coureurs des bois qui vivaient dans la région parisienne.
Le premier s'était installé dans la forêt de Marly, près de l'Étoile de Joyenval.
L'autre avait fait souche à l'ouest du bois de Saint-Germain-en-Laye.
Tous deux vivaient des produits de la forêt - chataignes, hérissons, orties, fougères - de petits travaux et de menus chapardages dans les marchés et les jardins.
À l'époque, j'avais été émerveillé qu'on puisse mener pareille existence aux portes de Paris.
Cela signifiait pour l'enfant que j'étais que les tentacules de la civilisation urbaine n'atteignaient pas tous les coeurs ni n'avaient fait plier tout le monde à la loi du progrès.
Un jour, les deux hommes des bois ont disparu. Je ne sais pas ce qu'ils sont devenus.
Sont-ils morts, ont-ils été arrêtés ?
J'ai voulu faire revivre leur figure à travers mon vagabond du bois de Bondy qui tente lui aussi de donner un supplément d'âme à un monde où l'on traque impitoyablement ceux qui prétendent se tenir debout, à la marge.


Sylvain Tesson, Vladivostok

disqueEcouter le début de sa nouvelle

en collaboration avec Lire dans le Noir



 > > >   Portrait d'un des écrivains de Clichy Mot à Mot :
Olivier Brunhes, acteur et auteur de théâtre,
en résidence à Clichy-sous-Bois

brunhesA première vue, tout oppose Clichy-sous-Bois et Olivier Brunhes. Qu’est-ce qui peut bien lier la ville du 93 à cet homme de théâtre ? Les planches et les cités dortoirs, ça ne fait pas bon ménage, dit-on. Et pourtant…

C’est bien en banlieue, à Villeneuve-la-Garenne, qu’est né Olivier, en 1961. Mêmes terrains vagues, mêmes herbes folles entre le bitume. Mais autre époque, autres aspirations. « Les gens qui venaient s’installer là portaient un espoir social. Ils avaient envie d’une belle vie, un peu proprette. Ce n’était pas déclassant. » Son père est professeur, sa mère travaille dans l’édition. Tôt, le garçon cherche à s’écarter du parcours balisé qui lui est promis. Il fait les 400 coups avec les caïds. Se fâche durablement avec l’école. Pas, en revanche, avec les monstres sacrés de la littérature. « La légitimité d’un professeur de lettres pour m’expliquer Rimbaud me paraît vite très suspecte. Pour moi, les voyous sont plus proches de lui que les profs de lettres. » Olivier fréquentera sept lycées en sept ans. « Je n’avais pas de problème de niveau. On m’acceptait en classe supérieure mais on me disait va ailleurs », rigole-t-il.

Sa rencontre avec le théâtre professionnel tient à des coups de tête décisifs. Dans une fête, une fille lui dit : « Je fais du théâtre aux cours Dullin ». Il rentre chez lui, dit à ses parents : « J’arrête l’école, je vais faire du théâtre aux cours Dullin ». On lui répond : « D’accord, mais tu gagnes ta vie ». Agé alors de 17 ans, Olivier devient coursier, fait le ménage dans l’école pour ne pas payer les cours. Un été, Robin Renucci, enseignant à l’école, lui propose de participer à plusieurs stages avec lui, dans le Sud de la France. Olivier rejoint d’abord Montélimar depuis Paris, avec sa Vespa de coursier, dort sur le bord de la route. Au cours de l’été, il interprète un rôle de voyou. « Je savais faire à l’époque. » Un metteur en scène le remarque et le réclame auprès de son école. « Ma directrice me disait de terminer les cours. Mais je n’aime pas les écoles. Alors je suis parti jouer. »

Ses débuts sont fulgurants. Alors qu’il n’a que 18 ans, le directeur de théâtre Antoine Bourseiller lui propose de jouer le rôle d’Hyppolite, dans Phèdre de Racine. Puis c’est au tour de Laurent Terzieff de le prendre sous son aile. « J’étais au Lucernaire. Il m’a vu jouer. Il est venu me parler. Il m’a accordé son amitié puis m’a demandé très vite de le rejoindre. » Un lien très fort les unit dès lors. « Je n’ai pu asseoir mon apprentissage qu’auprès de lui parce que c’est un immense artiste, un immense acteur qui faisait ce qu’il disait. Non seulement il pouvait énoncer des choses, mais en plus il jouait avec moi. Et quand il jouait, je l’admirais. A partir de là, la transmission était possible. » En compagnonnage, Olivier Brunhes rencontre Ariane Mouchkine, Joël Pommerat, Jean Genêt…

« Le théâtre m’a sauvé la vie. Au lieu de faire mes conneries dehors, j’ai été payé pour faire mes conneries dans une boîte : mourir, tuer, être un prince, un clochard… J’ai pu canaliser mon énergie pour le mettre au service des fictions. » Précoce interprète de grands rôles, Olivier Brunhes arrive à vivre très tôt de son métier d’acteur. Surtout, il s’enrichit de rencontres, comme le jour où il croise cette actrice qui deviendra plus tard sa femme et dont il aura deux filles. Il perçoit le théâtre comme un autre monde, sans discrimination : peu importe l’origine pourvu que le talent soit là. « Etre habité par ce feu-là, ça ne se commande pas, ce n’est pas social. » Le public, lui, est déterminé davantage. « J’ai su très tôt que mes copains de cité ne pourraient pas venir me voir. Pour des raisons structurelles, de prix de place, de voyage. J’ai souvent éprouvé que le théâtre est coupé d’un certain monde. »

Dans les années 2000, après plus de vingt ans d’exercice d’acteur dans de grandes pièces (Shakespeare, Pirandello, Molière…), Olivier Brunhes décide de faire venir le théâtre où il n’existe pas. « J’ai senti intimement que si je continuais à n’être qu’acteur, je ne pourrais pas m’accomplir, que quelque chose allait mourir en moi. Un matin, j’ai couru à l’ANPE. J’ai dit : "Je ne veux pas cesser d’être acteur. Je veux simplement pouvoir donner ce que j’ai reçu". Je voulais amener cette possibilité de fiction, dans des endroits inattendus, particulièrement dans les endroits non culturés. Créer un maquis culturel. »

Devenu auteur sans trop le savoir, il créé en 2005 le spectacle « Week-end de rêve » avec des personnes handicapées. « Tout le monde me disait : "Tu es en train de foutre en l’air ta carrière". J’étais un acteur très établi et je partais avec peu d’argent en caisse, dans un endroit où il n’y avait pas de théâtre. Mais c’était un appel intérieur. Je sentais quelque chose. Je n’ai pas monté des spectacles pour le handicap. J’ai monté des spectacles avec des acteurs que je trouvais tout simplement exceptionnels. » Les répétitions se déroulent aux Lilas, dans une école maternelle. Gros succès. Olivier Brunhes rencontre des prisonniers à Villepinte, poursuit sa mission d’évangélisation, lui qui pense que l’on entre en théâtre comme en religion.

Attentif à son travail, le conseil général de Seine-Saint-Denis lui propose d’être auteur en résidence à Clichy-sous-Bois, dans le cadre de l’opération « Ecrivains en Seine-Saint-Denis ». Il réfléchit au thème de la violence dans le monde, assiste à des ateliers d’écritures, écrit sa nouvelle pour le recueil de Clichy Mot à Mot. « En tant qu’écrivain en résidence, il était naturel pour moi que je participe à ce projet. J’ai donc accepté avec joie quand la direction des affaires culturelles de la ville me l’a proposé. D’autant que les onze autres novellistes sont des gens très capés. Pour ma part, la nouvelle est un format littéraire que je n’avais jamais utilisé auparavant. C’est tout ce que j’aime : je sens qu’il y a quelque chose de très important pour moi mais au moment où on me le demande, je ne sais pas si je sais faire ça. Je serai très attentif à la réaction des Clichois. » A la rentrée, Olivier Brunhes fera entrer le théâtre dans les collèges et les lycées de la ville. Une fois par semaine, les élèves joueront avec le langage. « Pour porter leur projet il faudra utiliser plusieurs langues, celle des cités, celle du théâtre… Et utiliser toutes les précisions du langage sans nier les inventions langagières extrêmement pointues des banlieues. Il y a plusieurs langues dans la langue. » Les professeurs demanderont à leurs élèves d’étudier la nouvelle écrite pour Clichy Mot à Mot. « Ce sera le matériau de la discussion, un terrain de fiction sur lequel nous allons nous rencontrer. »


En tant que dramaturge, Olivier Brunhes sera le metteur en scène de la soirée du 21 novembre à l’Espace 93, en compagnie des autres auteurs de Clichy Mot à Mot.


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